Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920
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Re: Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920
Entre les deux conflits mondiaux de 1914-1918 et 1939-1945, le pontificat du pape Pie XI s’est trouvé confronté aux conséquences du premier de ces conflits, celui qui a vu naître et se développer des régimes totalitaires. Pie XI a compris que les germes d’une nouvelle guerre s’y trouvaient contenus ; il a condamné de façon prophétique et tranchante les dérives totalitaires de son temps
Si Pie XI, pour fonder son propos, évoque l’autorité de Dieu, les règles morales, la loi naturelle et la place de la conscience comme le fera Pie XII par la suite, ce n’est pas sur ces arguments qu’il s’appuie ultimement pour construire sa dénonciation — celle dont l’histoire se souvient encore aujourd’hui. Il en cherche d’autres, nouveaux, dans la réflexion théologique et le combat sociopolitique. Sa dénonciation renvoie à la figure du Christ humilié dans son refus de suivre la conception du pouvoir qui prévaut dans les sociétés humaines ; elle en appelle à la construction de son Royaume dans l’histoire, espace où le Père a tout remis entre ses mains et où sa Seigneurie d’amour est à l’œuvre ; elle vise enfin à une fraternité humaine sauvée par le Christ en croix, fraternité dont dont Il est le Premier-Né. Dans ce but, le pape élabore une christologie politique autour de la figure du Christ, Roi en son humanité, modèle et source de toute transfiguration de l’histoire. Notre étude s’attache à découvrir cette christologie dans ses grandes lignes et la façon dont elle est évoquée dans sa lutte contre les totalitarismes d’un entre-deux-guerres marqué par le nationalisme, le mouvement de l’Action Française, le fascisme italien, le nazisme et le communisme
I – Les grands axes de la christologie de Pie XI
1 – Une christologie de la paix
Le point de départ de la christologie des encycliques de Pie XI est la situation historique de l’entre-deux-guerres, caractérisée comme des « années d’airain »
La devise du pontificat, « À la recherche de la paix du Christ par le Règne du Christ »
, présentée dans l’encyclique inaugurale Ubi Arcano de 1922, constitue un résumé de la pensée de Pie XI et du type de gouvernement qui l’incarne. Sa christologie est une réponse à des guerres fratricides sans fin et à une quête de la paix, impossible à vue humaine.
Le Christ est la paix, le Roi de la véritable paix. La paix est le nom de son œuvre de salut. Cette paix est donnée par Dieu en son Fils, dont la naissance sur la terre fut acclamée par les anges qui chantaient : « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté ». Elle se traduit par un travail de la réconciliation entre ce qui était séparé et brisé. Elle advient sur la Croix, comme victoire du Christ sur toutes les puissances de division : « en Lui, il a détruit la haine » (Ep 2,14). Le règne de paix du Christ est en genèse au cœur de l’histoire. Centre de cette histoire, le Christ en est aussi le sommet, l’origine et la fin, la source et l’espérance. Il est la clef d’interprétation des événements. C’est dire l’importance majeure de cette première encyclique.
2 – La Royauté du Christ comme Homme
Ce Christ, Roi de la véritable paix, est non seulement Roi en tant que Dieu, mais aussi comme Homme. L’encyclique Quas Primas de 1925 affirme en effet la Royauté du Christ comme Homme sur l’univers de façon directe, immédiate et absolue
Cette affirmation est en quelque sorte un apport dogmatique]
Une encyclique est un document solennel proposant une vérité…
L’institution de la fête du Christ Roi
en est la traduction liturgique. L’encyclique s’appuie sur les dogmes des Conciles de Nicée et d’Éphèse. Elle se fonde sur l’Écriture et la liturgie, tout en évoquant enfin des développements théologiques ultérieurs, pour montrer que la nature de la Royauté du Christ est spirituelle. Dans son rapport aux pouvoirs de son temps durant sa vie publique, le Christ s’est tenu en retrait du champ civil, non parce qu’il ne possédait pas la qualité de Roi véritable, mais parce qu’il n’a pas voulu s’en servir
L’encyclique reprend ici une position de Thomas d’Aquin, Somme…
En mettant ainsi en place la figure du Christ Roi comme Homme, exerçant son pouvoir royal, l’encyclique trouve son fondement pour dénoncer les absolutisations orgueilleuses et idolâtriques du pouvoir dans les courants politiques de son temps.
3 – Les interdits d’une lecture idéologique de la figure du Christ Roi, source et modèle de l’autorité politique
L’enseignement ultérieur de Pie XI apportera à sa présentation de la Royauté du Christ trois compléments théologiques importants, et qui empêchent de faire un usage idéologique de cette figure de Roi, comme cela lui a souvent été reproché. Ces compléments ont trait à la personne du Fils, à l’événement de la Croix et à la dimension eschatologique de son Règne.
1. La source et le modèle ultime pour tous les responsables civils ou familiaux est le Christ lui-même. Le rapport divinohumain dont le Christ est l’exemplaire en sa personne est choisi par Pie XI pour analyser d’un point de vue anthropologique la nature de l’autorité propre aux responsables. Dans leur être même, de façon implicite ou explicite, se réalise la conjonction de leur nature humaine et du don gracieux de salut offert par le Christ et qui les conduit sur la voie de la véritable autorité. Il y a là une reprise du rapport nature-grâce appliqué de façon originale à une réflexion sur la société civile
« La royauté du Christ », dans Lumière et Vie…
2. Si les encycliques présentent le Roi pacifique et la manière dont il a vécu comme modèle pour tous ceux qui ont une responsabilité sociale, c’est l’événement de la Croix qui constitue le point central de cette lecture : celui-ci est le lieu où le Christ opère son œuvre de réconciliation pour tous et porte la construction sociale à son accomplissement. Les documents du pontificat privilégient ici une scène évangélique, celle du procès de Jésus devant Pilate dans l’évangile de Jean : par son attitude et par ses paroles, le Christ Jésus dénonce les déviations totalitaires du pouvoir. Si le Christ est Roi, il est un Roi Sauveur jusqu’à la mort, Serviteur dans l’humilité de l’humiliation. La Croix interdit tout rêve d’un royaume humain sur le mode des puissants de ce monde.
3. Le Christ, Roi de la création et de l’histoire, est le Donateur de toute grâce. Les libertés humaines sont ici en jeu. Pour le montrer, Pie XI met en évidence la distance qui existe entre le règne qui revient de droit au Christ — ses dons, sa présence, son action — et son règne de fait toujours en genèse dans l’histoire, et qui qui implique son accueil de la part des hommes. L’écart caractéristique de l’eschatologie entre l’histoire et sa fin est maintenu. Les gouvernements humains demeurent ambivalents et ambigus ; aucune forme étatique concrète n’est en complète adéquation avec le Règne du Christ et son Évangile
Pour préciser la façon dont Pie XI pense, dans une ligne…
. Devant les résistances et les impasses que connaît la paix dans le monde, la seule attitude possible pour les croyants est l’espérance.
II – La dénonciation des totalitarismes et ses fondements
1 – Le caractère pernicieux des mouvements nationalistes
Pie XI a pris conscience des dégâts du nationalisme durant la guerre 1914-1918 qu’il qualifie de désastre humanitaire. En effet, Achille Ratti n’est pas resté à la Bibliothèque Vaticane dont il était Préfet jusqu’à la fin de la guerre. Le 25 mai 1918, il reçoit de Benoît XV la charge de Visiteur Apostolique en Pologne, responsabilité qui sera étendue à partir de l’été 1918 à tous les territoires sujets des Romanov, de la Finlande à la Mer du Nord et à la Silésie. Le 6 juin 1919, il est nommé Nonce dans le nouvel État polonais. Enfin, durant l’été 1920, il mène une expérience délicate et difficile comme Haut Commissaire Ecclésiastique pour le plébiscite de Haute Silésie. Cette dernière tâche le marquera durablement dans sa compréhension des dérives nationalistes et des risques qu’elles comportent pour la paix « Achille Ratti e la Polonia…
Déjà dans Ubi Arcano le pape fait mention de la distinction entre l’authentique amour de la patrie et le désordre qui provient de la dérive nationaliste et dont il prend conscience des conséquences. Sa parole est incisive et tranchante :
C’est à ces convoitises déréglées, se dissimulant, pour donner le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu’il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s’élèvent périodiquement entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissante de multiples vertus et d’actes d’héroïsme lorsqu’il est réglé par la loi chrétienne, n’en devient pas moins un germe d’injustices et d’iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent en cet excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant que membres de l’universelle famille humaine, sont liés entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et à la prospérité, mais encore qu’il n’est ni permis ni utile de séparer l’intérêt de l’honnêteté […] Pie XI n’est pas le premier pape…
.
Le pape fonde d’abord sa condamnation du nationalisme sur l’universalité de la condition humaine : tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, tous les peuples de la terre forment « l’universelle famille humaine » ; une même fraternité humaine les unit entre eux, quelle que soit leur situation. Tous les peuples ont donc droit à la vie, au respect de ce qu’ils sont et à des conditions de vie et d’existence comme la prospérité, la justice, le droit et la paix. Ces thèmes seront repris, en 1929 dans Divini Illius Magistri, en 1931 dans Quadragesimo Anno, et en 1932 dans Caritate Christi Compulsi. Une distinction est faite entre l’authentique amour de la patrie et le nationalisme. Les expressions utilisées pour qualifier les sentiments qui animent les êtres humains dans les deux cas de figure ne sont pas les mêmes.
Pour le patriotisme, le pape emploie le terme « caritas », terme qui signifie amour, avec les nuances d’affection, de tendresse, « avoir du prix » ; pour le nationalisme, c’est le terme « amor » qui vient à l’avant-plan, terme qui veut également dire amour, avec toutes les nuances d’affection, mais aussi de désir et de passion. Un qualificatif y est ajouté lorsqu’il s’agit de nationalisme, celui d’« immodéré » (« immoderatus ») : le nationalisme est du même ordre que l’amour de la patrie, mais avec une exagération qui fait oublier les autres humains, les autres peuples. Ce désordre se traduit par une situation d’injustice. Ubi Arcano met bien en évidence la dérive : là où la justice internationale entre les États est mise à mal par la recherche de son seul intérêt, toute injustice mène à la ruine. À ces situations d’injustice s’ajoutent les luttes fratricides, dont l’écho revient de façon récurrente dans tous les textes du pontificat. Le pape en appelle à construire la vraie paix, paix tant intérieure qu’extérieure.
La figure du Christ, Roi humilié, constitue l’instance critique qui empêche « toute valeur fondamentale de la communauté humaine » d’être annexée, de se prendre soi-même pour sa propre origine, et de se diviniser, en particulier dans le cas de l’État et du pouvoir politique. C’est sur la royauté du Christ que Quas Primas fondait le pouvoir qui est délégué aux responsables politiques et sociaux, mettant en lumière le risque de l’absolutisation du pouvoir politique :
Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur propre nom qu’au nom et à la place du divin Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec toute la vertu et la sagesse possible […] Alors on verrait l’ordre et la tranquillité s’épanouir et se consolider ; toute cause de révolte se trouverait écartée […]
.
2 – L’Action Française
La condamnation de l’Action Française se situe dans cette dynamique. En conclusion de son ouvrage sur Les catholiques et l’Action Française, Jacques Prévotat montre comment la crise de l’Action Française dépasse la seule réalité française. Elle s’adresse à toute conscience chrétienne, et simplement humaine, et l’invite à se poser la question de la transformation de la hiérarchie des valeurs dans les dérives nationalistes. En effet, l’Action Française donne un exemple typique de cette transformation [
Cf. Prévotat J., Les catholiques et l’Action Française.…
Dans sa lettre du 25 août 1929 au Cardinal Dubois, archevêque de Paris, Pie XI renvoie au document qu’il considère comme le fondement doctrinal de sa condamnation de l’Action Française : l’Allocution consistoriale Misericordia Domini
Elle rend compte de la pensée du pape sur le sujet
Pie XI a lui-même étudié les œuvres de Ch. Maurras et le…
et fait comprendre les enjeux théologiques universels de sa condamnation]La condamnation de l’Action Française est d’ordre théologique…
Plaise à Dieu, Vénérables Frères, que Nos paroles, auxquelles votre présence ajoute de la solennité, et la Nativité toute proche du Roi pacifique, qui ajoute à la sainteté, établissent une concorde complète et active parmi les catholiques français. Ainsi unis, ils pourront combattre avec efficacité pour les suprêmes intérêts du Royaume divin, intérêts sur lesquels s’appuient tous les autres, qui y trouvent leur fondement, leur couronnement et leur sanction. Nous disons : du Royaume divin ; ceux qui le cherchent, en effet — ils en ont pour garantie les promesses du Christ Roi lui-même —, obtiennent tout le reste et l’acquièrent en quelque sorte par anticipation : “Cherchez d’abord le Royaume de Dieu […] et tout le reste vous viendra par surcroît”.
Si Pie XI, pour fonder son propos, évoque l’autorité de Dieu, les règles morales, la loi naturelle et la place de la conscience comme le fera Pie XII par la suite, ce n’est pas sur ces arguments qu’il s’appuie ultimement pour construire sa dénonciation — celle dont l’histoire se souvient encore aujourd’hui. Il en cherche d’autres, nouveaux, dans la réflexion théologique et le combat sociopolitique. Sa dénonciation renvoie à la figure du Christ humilié dans son refus de suivre la conception du pouvoir qui prévaut dans les sociétés humaines ; elle en appelle à la construction de son Royaume dans l’histoire, espace où le Père a tout remis entre ses mains et où sa Seigneurie d’amour est à l’œuvre ; elle vise enfin à une fraternité humaine sauvée par le Christ en croix, fraternité dont dont Il est le Premier-Né. Dans ce but, le pape élabore une christologie politique autour de la figure du Christ, Roi en son humanité, modèle et source de toute transfiguration de l’histoire. Notre étude s’attache à découvrir cette christologie dans ses grandes lignes et la façon dont elle est évoquée dans sa lutte contre les totalitarismes d’un entre-deux-guerres marqué par le nationalisme, le mouvement de l’Action Française, le fascisme italien, le nazisme et le communisme
I – Les grands axes de la christologie de Pie XI
1 – Une christologie de la paix
Le point de départ de la christologie des encycliques de Pie XI est la situation historique de l’entre-deux-guerres, caractérisée comme des « années d’airain »
La devise du pontificat, « À la recherche de la paix du Christ par le Règne du Christ »
, présentée dans l’encyclique inaugurale Ubi Arcano de 1922, constitue un résumé de la pensée de Pie XI et du type de gouvernement qui l’incarne. Sa christologie est une réponse à des guerres fratricides sans fin et à une quête de la paix, impossible à vue humaine.
Le Christ est la paix, le Roi de la véritable paix. La paix est le nom de son œuvre de salut. Cette paix est donnée par Dieu en son Fils, dont la naissance sur la terre fut acclamée par les anges qui chantaient : « Paix sur terre aux hommes de bonne volonté ». Elle se traduit par un travail de la réconciliation entre ce qui était séparé et brisé. Elle advient sur la Croix, comme victoire du Christ sur toutes les puissances de division : « en Lui, il a détruit la haine » (Ep 2,14). Le règne de paix du Christ est en genèse au cœur de l’histoire. Centre de cette histoire, le Christ en est aussi le sommet, l’origine et la fin, la source et l’espérance. Il est la clef d’interprétation des événements. C’est dire l’importance majeure de cette première encyclique.
2 – La Royauté du Christ comme Homme
Ce Christ, Roi de la véritable paix, est non seulement Roi en tant que Dieu, mais aussi comme Homme. L’encyclique Quas Primas de 1925 affirme en effet la Royauté du Christ comme Homme sur l’univers de façon directe, immédiate et absolue
Cette affirmation est en quelque sorte un apport dogmatique]
Une encyclique est un document solennel proposant une vérité…
L’institution de la fête du Christ Roi
en est la traduction liturgique. L’encyclique s’appuie sur les dogmes des Conciles de Nicée et d’Éphèse. Elle se fonde sur l’Écriture et la liturgie, tout en évoquant enfin des développements théologiques ultérieurs, pour montrer que la nature de la Royauté du Christ est spirituelle. Dans son rapport aux pouvoirs de son temps durant sa vie publique, le Christ s’est tenu en retrait du champ civil, non parce qu’il ne possédait pas la qualité de Roi véritable, mais parce qu’il n’a pas voulu s’en servir
L’encyclique reprend ici une position de Thomas d’Aquin, Somme…
En mettant ainsi en place la figure du Christ Roi comme Homme, exerçant son pouvoir royal, l’encyclique trouve son fondement pour dénoncer les absolutisations orgueilleuses et idolâtriques du pouvoir dans les courants politiques de son temps.
3 – Les interdits d’une lecture idéologique de la figure du Christ Roi, source et modèle de l’autorité politique
L’enseignement ultérieur de Pie XI apportera à sa présentation de la Royauté du Christ trois compléments théologiques importants, et qui empêchent de faire un usage idéologique de cette figure de Roi, comme cela lui a souvent été reproché. Ces compléments ont trait à la personne du Fils, à l’événement de la Croix et à la dimension eschatologique de son Règne.
1. La source et le modèle ultime pour tous les responsables civils ou familiaux est le Christ lui-même. Le rapport divinohumain dont le Christ est l’exemplaire en sa personne est choisi par Pie XI pour analyser d’un point de vue anthropologique la nature de l’autorité propre aux responsables. Dans leur être même, de façon implicite ou explicite, se réalise la conjonction de leur nature humaine et du don gracieux de salut offert par le Christ et qui les conduit sur la voie de la véritable autorité. Il y a là une reprise du rapport nature-grâce appliqué de façon originale à une réflexion sur la société civile
« La royauté du Christ », dans Lumière et Vie…
2. Si les encycliques présentent le Roi pacifique et la manière dont il a vécu comme modèle pour tous ceux qui ont une responsabilité sociale, c’est l’événement de la Croix qui constitue le point central de cette lecture : celui-ci est le lieu où le Christ opère son œuvre de réconciliation pour tous et porte la construction sociale à son accomplissement. Les documents du pontificat privilégient ici une scène évangélique, celle du procès de Jésus devant Pilate dans l’évangile de Jean : par son attitude et par ses paroles, le Christ Jésus dénonce les déviations totalitaires du pouvoir. Si le Christ est Roi, il est un Roi Sauveur jusqu’à la mort, Serviteur dans l’humilité de l’humiliation. La Croix interdit tout rêve d’un royaume humain sur le mode des puissants de ce monde.
3. Le Christ, Roi de la création et de l’histoire, est le Donateur de toute grâce. Les libertés humaines sont ici en jeu. Pour le montrer, Pie XI met en évidence la distance qui existe entre le règne qui revient de droit au Christ — ses dons, sa présence, son action — et son règne de fait toujours en genèse dans l’histoire, et qui qui implique son accueil de la part des hommes. L’écart caractéristique de l’eschatologie entre l’histoire et sa fin est maintenu. Les gouvernements humains demeurent ambivalents et ambigus ; aucune forme étatique concrète n’est en complète adéquation avec le Règne du Christ et son Évangile
Pour préciser la façon dont Pie XI pense, dans une ligne…
. Devant les résistances et les impasses que connaît la paix dans le monde, la seule attitude possible pour les croyants est l’espérance.
II – La dénonciation des totalitarismes et ses fondements
1 – Le caractère pernicieux des mouvements nationalistes
Pie XI a pris conscience des dégâts du nationalisme durant la guerre 1914-1918 qu’il qualifie de désastre humanitaire. En effet, Achille Ratti n’est pas resté à la Bibliothèque Vaticane dont il était Préfet jusqu’à la fin de la guerre. Le 25 mai 1918, il reçoit de Benoît XV la charge de Visiteur Apostolique en Pologne, responsabilité qui sera étendue à partir de l’été 1918 à tous les territoires sujets des Romanov, de la Finlande à la Mer du Nord et à la Silésie. Le 6 juin 1919, il est nommé Nonce dans le nouvel État polonais. Enfin, durant l’été 1920, il mène une expérience délicate et difficile comme Haut Commissaire Ecclésiastique pour le plébiscite de Haute Silésie. Cette dernière tâche le marquera durablement dans sa compréhension des dérives nationalistes et des risques qu’elles comportent pour la paix « Achille Ratti e la Polonia…
Déjà dans Ubi Arcano le pape fait mention de la distinction entre l’authentique amour de la patrie et le désordre qui provient de la dérive nationaliste et dont il prend conscience des conséquences. Sa parole est incisive et tranchante :
C’est à ces convoitises déréglées, se dissimulant, pour donner le change, sous le voile du bien public et du patriotisme, qu’il faut attribuer sans contredit les haines et les conflits qui s’élèvent périodiquement entre les peuples. Cet amour même de sa patrie et de sa race, source puissante de multiples vertus et d’actes d’héroïsme lorsqu’il est réglé par la loi chrétienne, n’en devient pas moins un germe d’injustices et d’iniquités nombreuses si, transgressant les règles de la justice et du droit, il dégénère en nationalisme immodéré. Ceux qui tombent en cet excès oublient, à coup sûr, non seulement que tous les peuples, en tant que membres de l’universelle famille humaine, sont liés entre eux par des rapports de fraternité et que les autres pays ont droit à la vie et à la prospérité, mais encore qu’il n’est ni permis ni utile de séparer l’intérêt de l’honnêteté […] Pie XI n’est pas le premier pape…
.
Le pape fonde d’abord sa condamnation du nationalisme sur l’universalité de la condition humaine : tous les hommes de tous les temps et de tous les lieux, tous les peuples de la terre forment « l’universelle famille humaine » ; une même fraternité humaine les unit entre eux, quelle que soit leur situation. Tous les peuples ont donc droit à la vie, au respect de ce qu’ils sont et à des conditions de vie et d’existence comme la prospérité, la justice, le droit et la paix. Ces thèmes seront repris, en 1929 dans Divini Illius Magistri, en 1931 dans Quadragesimo Anno, et en 1932 dans Caritate Christi Compulsi. Une distinction est faite entre l’authentique amour de la patrie et le nationalisme. Les expressions utilisées pour qualifier les sentiments qui animent les êtres humains dans les deux cas de figure ne sont pas les mêmes.
Pour le patriotisme, le pape emploie le terme « caritas », terme qui signifie amour, avec les nuances d’affection, de tendresse, « avoir du prix » ; pour le nationalisme, c’est le terme « amor » qui vient à l’avant-plan, terme qui veut également dire amour, avec toutes les nuances d’affection, mais aussi de désir et de passion. Un qualificatif y est ajouté lorsqu’il s’agit de nationalisme, celui d’« immodéré » (« immoderatus ») : le nationalisme est du même ordre que l’amour de la patrie, mais avec une exagération qui fait oublier les autres humains, les autres peuples. Ce désordre se traduit par une situation d’injustice. Ubi Arcano met bien en évidence la dérive : là où la justice internationale entre les États est mise à mal par la recherche de son seul intérêt, toute injustice mène à la ruine. À ces situations d’injustice s’ajoutent les luttes fratricides, dont l’écho revient de façon récurrente dans tous les textes du pontificat. Le pape en appelle à construire la vraie paix, paix tant intérieure qu’extérieure.
La figure du Christ, Roi humilié, constitue l’instance critique qui empêche « toute valeur fondamentale de la communauté humaine » d’être annexée, de se prendre soi-même pour sa propre origine, et de se diviniser, en particulier dans le cas de l’État et du pouvoir politique. C’est sur la royauté du Christ que Quas Primas fondait le pouvoir qui est délégué aux responsables politiques et sociaux, mettant en lumière le risque de l’absolutisation du pouvoir politique :
Si les princes et les gouvernants légitimement choisis étaient persuadés qu’ils commandent bien moins en leur propre nom qu’au nom et à la place du divin Roi, il est évident qu’ils useraient de leur autorité avec toute la vertu et la sagesse possible […] Alors on verrait l’ordre et la tranquillité s’épanouir et se consolider ; toute cause de révolte se trouverait écartée […]
.
2 – L’Action Française
La condamnation de l’Action Française se situe dans cette dynamique. En conclusion de son ouvrage sur Les catholiques et l’Action Française, Jacques Prévotat montre comment la crise de l’Action Française dépasse la seule réalité française. Elle s’adresse à toute conscience chrétienne, et simplement humaine, et l’invite à se poser la question de la transformation de la hiérarchie des valeurs dans les dérives nationalistes. En effet, l’Action Française donne un exemple typique de cette transformation [
Cf. Prévotat J., Les catholiques et l’Action Française.…
Dans sa lettre du 25 août 1929 au Cardinal Dubois, archevêque de Paris, Pie XI renvoie au document qu’il considère comme le fondement doctrinal de sa condamnation de l’Action Française : l’Allocution consistoriale Misericordia Domini
Elle rend compte de la pensée du pape sur le sujet
Pie XI a lui-même étudié les œuvres de Ch. Maurras et le…
et fait comprendre les enjeux théologiques universels de sa condamnation]La condamnation de l’Action Française est d’ordre théologique…
Plaise à Dieu, Vénérables Frères, que Nos paroles, auxquelles votre présence ajoute de la solennité, et la Nativité toute proche du Roi pacifique, qui ajoute à la sainteté, établissent une concorde complète et active parmi les catholiques français. Ainsi unis, ils pourront combattre avec efficacité pour les suprêmes intérêts du Royaume divin, intérêts sur lesquels s’appuient tous les autres, qui y trouvent leur fondement, leur couronnement et leur sanction. Nous disons : du Royaume divin ; ceux qui le cherchent, en effet — ils en ont pour garantie les promesses du Christ Roi lui-même —, obtiennent tout le reste et l’acquièrent en quelque sorte par anticipation : “Cherchez d’abord le Royaume de Dieu […] et tout le reste vous viendra par surcroît”.
Re: Intellectuels chrétiens et esprit des années 1920
Mgr Pie et Napoléon III :
correspondance à propos du
Règne social de Jésus-Christ
:1523609451: Le Cardinal Pie : Je m’empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de Votre Majesté et je sais reconnaitre, Sire, les services qu’elle a rendus à Rome et à l’Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous ?
Mais laissez-moi ajouter que ni la restauration, ni vous, n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l’évangile social dont s’inspire l’État est encore la déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu. Or, c’est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés.
Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence. Or, j’ai le devoir de vous dire qu’Il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un État chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce-pas proclamer équivalemment que la constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ?
Eh bien ! Sire, savez- vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d’une telle contradiction ? Jésus-Christ, Roi du ciel et de la terre, leur répond :Et Moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns les autres, Moi aussi Je vous accorde une égale protection. J’ai accordé cette protection à l’empereur votre oncle ; J’ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République et à vous aussi la même protection vous sera accordée.
:2362649123: L’empereur arrêta l’évêque :« Mais encore, croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »
:1523609451: Le Cardinal Pie : « Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque et comme évêque je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! Alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer » ».(Entretien du 15 mars 1856 entre Mgr Pie et Napoléon III)
correspondance à propos du
Règne social de Jésus-Christ
:1523609451: Le Cardinal Pie : Je m’empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de Votre Majesté et je sais reconnaitre, Sire, les services qu’elle a rendus à Rome et à l’Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement. Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous ?
Mais laissez-moi ajouter que ni la restauration, ni vous, n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez renié les principes de la Révolution dont vous combattez cependant les conséquences pratiques, parce que l’évangile social dont s’inspire l’État est encore la déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu. Or, c’est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre Seigneur est venu sur la terre. Il doit y régner en inspirant les lois, en sanctifiant les mœurs, en éclairant l’enseignement, en dirigeant les conseils, en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés.
Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence. Or, j’ai le devoir de vous dire qu’Il ne règne pas parmi nous et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un État chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français, mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce-pas proclamer équivalemment que la constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ?
Eh bien ! Sire, savez- vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d’une telle contradiction ? Jésus-Christ, Roi du ciel et de la terre, leur répond :Et Moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns les autres, Moi aussi Je vous accorde une égale protection. J’ai accordé cette protection à l’empereur votre oncle ; J’ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à Louis-Philippe, la même protection à la République et à vous aussi la même protection vous sera accordée.
:2362649123: L’empereur arrêta l’évêque :« Mais encore, croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »
:1523609451: Le Cardinal Pie : « Sire, quand de grands politiques comme votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis évêque et comme évêque je leur réponds : « Le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner, eh bien ! Alors le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer » ».(Entretien du 15 mars 1856 entre Mgr Pie et Napoléon III)
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