Qui était vraiment Foujita, grand peintre japonais des années folles ?
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Lysliane- Messages : 321
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Re: Qui était vraiment Foujita, grand peintre japonais des années folles ?
Le 6 août 1913 débarque à Paris, dans le quartier Montparnasse, un jeune Japonais élégant de 27 ans, à qui l'on a prédit, selon ses dires, qu'il serait le premier peintre du Japon, mais qui entend bien « devenir le premier peintre de Paris ». A peine arrivé, Tsuguharu Foujita rencontre le peintre chilien Manuel Ortiz de Zárate à la terrasse d'un café, qui l'entraîne jusqu’à l'atelier de Pablo Picasso…
Foujita (1886-1968) ne vient pas de nulle part. Son père, Tsugakira Fujita, général de l'armée impériale, médecin, ouvert aux idées progressistes et à l'Occident, a éveillé son fils aux sciences, à la littérature, au monde. Il ne s'oppose pas à sa vocation précoce, lui achète des couleurs, le décrète peintre de la famille. A l'âge de 4 ans, le garçon perd sa mère – il en gardera le souvenir d'une main froide, d'un kimono et d'un paravent blancs. A 14 ans, il voit un de ses dessins sélectionné pour l'Exposition universelle de Paris.
A 17, il suit des cours de français à l'Etoile du matin, école que viennent de créer des frères marianistes. Son idée est de suivre un enseignement artistique en France, mais son père souhaite qu'il intègre d'abord l'Ecole des beaux-arts de Tokyo. Trois ans plus tard, le général acceptera de financer un voyage d'études à Paris. La jeune fiancée de Tsuguharu refuse de le suivre, pensant que le séjour sera de courte durée...
Foujita (il a rajouté un o à son nom, sans doute pour qu'on le prononce correctement) fait partie des derniers artistes à gagner Montparnasse. Trop âgé pour s'inscrire aux Beaux-Arts, il prend une carte de copiste au Louvre, arpente les salles, avide de tout découvrir, et notamment l'art antique, dont il apprécie le hiératisme et la stylisation. Il s'imprègne surtout de l'atmosphère de la ville, dessine dans les cafés. « Il prend conscience très rapidement, écrit Anne Le Diberder, directrice de la maison-atelier Foujita, qu'il lui faut repenser non seulement sa peinture, mais aussi sa culture, et se façonner un avenir soit en rupture, soit en conciliation ». Ce sera la conciliation… Et la pratique de l'hybridation, constate Sylvie Buisson, éditrice du catalogue général de l'œuvre de Foujita : « Aucun autre artiste japonais avant lui n'a osé transgresser les conventions de son pays. Les précieuses estampes nishiki-e l'enchantent au même titre que les madones du gothique et de la Renaissance. » Dans la construction de cette identité artistique, l'autoportrait va occuper une place de choix. « Il se met en scène dans son œuvre, mais aussi dans sa vie, au risque d'être pris à son propre jeu et d'y être pour ainsi dire claquemuré », poursuit Anne Le Diberder. Car il a très vite compris les ressorts modernes de la célébrité. Il sait que le travail et le talent ne suffisent pas. Il faut s'afficher aux terrasses des cafés, dans les fêtes, dans les galeries et les ateliers. Vers la fin de la guerre, il a trouvé sa « gueule » , adoptant sa célèbre coupe de cheveux à la « chien », qui vaut déjà signature, porte bijoux, tatouages et vêtements sophistiqués.
Foujita (1886-1968) ne vient pas de nulle part. Son père, Tsugakira Fujita, général de l'armée impériale, médecin, ouvert aux idées progressistes et à l'Occident, a éveillé son fils aux sciences, à la littérature, au monde. Il ne s'oppose pas à sa vocation précoce, lui achète des couleurs, le décrète peintre de la famille. A l'âge de 4 ans, le garçon perd sa mère – il en gardera le souvenir d'une main froide, d'un kimono et d'un paravent blancs. A 14 ans, il voit un de ses dessins sélectionné pour l'Exposition universelle de Paris.
A 17, il suit des cours de français à l'Etoile du matin, école que viennent de créer des frères marianistes. Son idée est de suivre un enseignement artistique en France, mais son père souhaite qu'il intègre d'abord l'Ecole des beaux-arts de Tokyo. Trois ans plus tard, le général acceptera de financer un voyage d'études à Paris. La jeune fiancée de Tsuguharu refuse de le suivre, pensant que le séjour sera de courte durée...
Foujita (il a rajouté un o à son nom, sans doute pour qu'on le prononce correctement) fait partie des derniers artistes à gagner Montparnasse. Trop âgé pour s'inscrire aux Beaux-Arts, il prend une carte de copiste au Louvre, arpente les salles, avide de tout découvrir, et notamment l'art antique, dont il apprécie le hiératisme et la stylisation. Il s'imprègne surtout de l'atmosphère de la ville, dessine dans les cafés. « Il prend conscience très rapidement, écrit Anne Le Diberder, directrice de la maison-atelier Foujita, qu'il lui faut repenser non seulement sa peinture, mais aussi sa culture, et se façonner un avenir soit en rupture, soit en conciliation ». Ce sera la conciliation… Et la pratique de l'hybridation, constate Sylvie Buisson, éditrice du catalogue général de l'œuvre de Foujita : « Aucun autre artiste japonais avant lui n'a osé transgresser les conventions de son pays. Les précieuses estampes nishiki-e l'enchantent au même titre que les madones du gothique et de la Renaissance. » Dans la construction de cette identité artistique, l'autoportrait va occuper une place de choix. « Il se met en scène dans son œuvre, mais aussi dans sa vie, au risque d'être pris à son propre jeu et d'y être pour ainsi dire claquemuré », poursuit Anne Le Diberder. Car il a très vite compris les ressorts modernes de la célébrité. Il sait que le travail et le talent ne suffisent pas. Il faut s'afficher aux terrasses des cafés, dans les fêtes, dans les galeries et les ateliers. Vers la fin de la guerre, il a trouvé sa « gueule » , adoptant sa célèbre coupe de cheveux à la « chien », qui vaut déjà signature, porte bijoux, tatouages et vêtements sophistiqués.
Lysliane- Messages : 321
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Re: Qui était vraiment Foujita, grand peintre japonais des années folles ?
En mars 1917, il rencontre Fernande Barrey, artiste gouailleuse et passionnée, qu'il épouse deux semaines plus tard. Il s'installe au 5, rue Delambre où il restera jusqu'en 1924. Le 1er juin, il expose pour la première fois une centaine d'œuvres, des aquarelles, à la galerie de Georges Chéron, marchand de Modigliani et de Soutine. C'est un triomphe. Picasso vient dès le premier jour, et reste plusieurs heures. Chéron lui demande de produire deux aquarelles par jour. Cela tombe bien, « le chef-d'œuvre ne se produisant que rarement », Foujita dit « avoir pris la ferme résolution d'essayer de laisser des milliers d'œuvres ». A la réouverture du Grand Palais au printemps 1919, et surtout au Salon d'automne, il expose au milieu des grands de la peinture française.
A l'orée des années 1920, Paris veut oublier la Grande Guerre et ne veut pas voir les périls qui montent. Les « Montparnos » vivent une euphorie sans précédent. Lucie Badoud n'a pas 20 ans quand Foujita l'aborde à la Rotonde, en 1922. Le jour de son anniversaire, il lui offre une voiture décapotable dont le bouchon de radiateur est un bronze de Rodin. Sa blancheur de peau inspire à Foujita un prénom : Youki, « neige » en japonais. Elle devient son modèle de prédilection, il n'a de cesse de l'observer, de la portraiturer, de la fixer sur pellicule. Elle lui inspire ses plus beaux nus.
A l'orée des années 1920, Paris veut oublier la Grande Guerre et ne veut pas voir les périls qui montent. Les « Montparnos » vivent une euphorie sans précédent. Lucie Badoud n'a pas 20 ans quand Foujita l'aborde à la Rotonde, en 1922. Le jour de son anniversaire, il lui offre une voiture décapotable dont le bouchon de radiateur est un bronze de Rodin. Sa blancheur de peau inspire à Foujita un prénom : Youki, « neige » en japonais. Elle devient son modèle de prédilection, il n'a de cesse de l'observer, de la portraiturer, de la fixer sur pellicule. Elle lui inspire ses plus beaux nus.
Lysliane- Messages : 321
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Re: Qui était vraiment Foujita, grand peintre japonais des années folles ?
Sylvie Buisson décrit un processus créatif étonnant : Foujita s'imprègne de la pose, élabore un dessin préparatoire, sans repentir. Sur la toile, en son absence, le modèle « est réduit à son âme, à un réseau de lignes d'une sensibilité extrême, porteuses de vie ». Car, chez lui, l'essence du modèle est dans le trait : « Le trait est vivant. Et l'intervalle qui s'installe dans l'entre-deux, le vide que les lignes ménagent entre elles, est un élément constituant du trait et de l'œuvre. Il s'agit du ma, concept esthétique qui régit l'art japonais depuis toujours, auquel Foujita ne déroge jamais ». Désireux de « représenter la qualité de la matière la plus belle qui soit, celle de la peau humaine », il s'est en revanche approprié un genre, le nu, absent de la peinture japonaise.
Sa technique sur toile – Foujita peint désormais à l'huile – est unique : « La plupart des artistes, comme Matisse, Braque, peignaient avec une brosse large. Contrairement à eux, je me suis mis à peindre avec un pinceau fin. Tout le monde utilisait beaucoup de couleurs superbes. Mais j'ai cherché à peindre légèrement, et en noir et blanc », déclarera-t-il plus tard. Son atelier est un espace de travail solitaire : « Jaloux de ses secrets, en particulier de ses fonds blancs, il laisse peu de personnes s'approcher », rappelle Anne Le Diberder. On finit par savoir qu'il applique en glacis un mélange d'huile de lin, de blanc de plomb ou de Meudon et de silicate de magnésium, technique inédite en Occident, qui confère à sa matière une rare opalescence. Il travaille ses fonds en dernier, entourant le trait d'une auréole grise qui fait ressortir et vibrer les corps.
Figure des nuits de Montparnasse, photographié en 1927 avec son chat par la grande portraitiste autrichienne Dora Kallmus, Foujita voit « progressivement, aux yeux du public, des critiques et du milieu artistique, l'image de dandy prendre le pas sur sa peinture », constate Anne Le Diberder, soulignant un vrai malentendu : car Foujita est un « artiste total », qui ne cesse de travailler. Il dit ne dormir que cinq heures, grâce au climat sec de Paris. Dans son atelier de la rue Delambre, puis dans la belle maison qu'il s'offre square Montsouris, il confectionne ses costumes, crée sa vaisselle, filme et photographie, et ce travail est au service de sa peinture. Les Années folles ne sont bien sûr pas si folles que cela : son angoissant Lupanar à Montparnasse est hanté par la figure morbide de la mère-maquerelle, et l'on ne sait si ses Intellectuels à la Rotonde sont habités par la pensée ou par le vide. A travers ses autoportraits répétés, Foujita jette son regard étrangement impassible, indéchiffrable sur ce monde.
Sa technique sur toile – Foujita peint désormais à l'huile – est unique : « La plupart des artistes, comme Matisse, Braque, peignaient avec une brosse large. Contrairement à eux, je me suis mis à peindre avec un pinceau fin. Tout le monde utilisait beaucoup de couleurs superbes. Mais j'ai cherché à peindre légèrement, et en noir et blanc », déclarera-t-il plus tard. Son atelier est un espace de travail solitaire : « Jaloux de ses secrets, en particulier de ses fonds blancs, il laisse peu de personnes s'approcher », rappelle Anne Le Diberder. On finit par savoir qu'il applique en glacis un mélange d'huile de lin, de blanc de plomb ou de Meudon et de silicate de magnésium, technique inédite en Occident, qui confère à sa matière une rare opalescence. Il travaille ses fonds en dernier, entourant le trait d'une auréole grise qui fait ressortir et vibrer les corps.
Figure des nuits de Montparnasse, photographié en 1927 avec son chat par la grande portraitiste autrichienne Dora Kallmus, Foujita voit « progressivement, aux yeux du public, des critiques et du milieu artistique, l'image de dandy prendre le pas sur sa peinture », constate Anne Le Diberder, soulignant un vrai malentendu : car Foujita est un « artiste total », qui ne cesse de travailler. Il dit ne dormir que cinq heures, grâce au climat sec de Paris. Dans son atelier de la rue Delambre, puis dans la belle maison qu'il s'offre square Montsouris, il confectionne ses costumes, crée sa vaisselle, filme et photographie, et ce travail est au service de sa peinture. Les Années folles ne sont bien sûr pas si folles que cela : son angoissant Lupanar à Montparnasse est hanté par la figure morbide de la mère-maquerelle, et l'on ne sait si ses Intellectuels à la Rotonde sont habités par la pensée ou par le vide. A travers ses autoportraits répétés, Foujita jette son regard étrangement impassible, indéchiffrable sur ce monde.
Lysliane- Messages : 321
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Re: Qui était vraiment Foujita, grand peintre japonais des années folles ?
Il voit Youki, femme libre, devenir, tout en jouant son rôle de muse, la maîtresse de son ami, Robert Desnos. Les trente-cinq dernières années de sa vie sont étranges, et sa trajectoire peut sembler erratique. Le 31 octobre 1931, il embarque pour Rio de Janeiro en compagnie d'une jeune danseuse et modèle, Madeleine Lequeux. Car ses commandes se sont raréfiées, du fait de la crise, et il a subi un important redressement fiscal. Il écrit un message d'adieu à son ami Robert Desnos, lui confiant Youki, son épouse, à qui il cède toutes ses peintures ! Pendant deux ans, il va trouver en Amérique latine un nouveau souffle artistique, avant de regagner le pays natal à l'automne 1933, de refaire une courte incursion française à la veille de la guerre, contraint de rejoindre le Japon où il devient peintre de guerre...
Mais l'appel de la France est le plus fort. Il regagne Paris en janvier 1950 où il relance sa carrière et achète, dix ans plus tard, une maison en ruine à Villiers-le-Bâcle, petit village de l'Essonne, dont il va imaginer et concevoir chaque détail, allant jusqu'à fabriquer lui-même de nombreux objets. Il y vit avec sa dernière épouse, Kimiyo, une retraite mystique et artistique, et réalise la maquette de la future chapelle Notre-Dame-de-la-Paix, que, converti au catholicisme, il entreprend de faire construire à Reims. A Zurich, le 29 janvier 1968, s’éteint à 81 ans Tsuguharu Foujita — pardon, Léonard, prénom de baptême qu'il choisit en l'honneur de Leonardo da Vinci.
Mais l'appel de la France est le plus fort. Il regagne Paris en janvier 1950 où il relance sa carrière et achète, dix ans plus tard, une maison en ruine à Villiers-le-Bâcle, petit village de l'Essonne, dont il va imaginer et concevoir chaque détail, allant jusqu'à fabriquer lui-même de nombreux objets. Il y vit avec sa dernière épouse, Kimiyo, une retraite mystique et artistique, et réalise la maquette de la future chapelle Notre-Dame-de-la-Paix, que, converti au catholicisme, il entreprend de faire construire à Reims. A Zurich, le 29 janvier 1968, s’éteint à 81 ans Tsuguharu Foujita — pardon, Léonard, prénom de baptême qu'il choisit en l'honneur de Leonardo da Vinci.
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